Les troubles liés à la consommation de substances psychoactives (SPA) sont souvent associés à des maladies physiques comorbides. Cependant, leur impact sur la santé bucco-dentaire est moins documenté. Cette revue systématique et méta-analyse menée par Hooman Baghaie et al. met en lumière les liens entre l’abus de substances et la prévalence accrue de caries dentaires et de maladies parodontales. Les résultats révèlent une réalité préoccupante : les personnes souffrant de troubles liés aux SPA présentent des niveaux de caries et de perte dentaire significativement plus élevés que la population générale, tout en ayant moins accès aux soins dentaires.
Une problématique mondiale négligée
En 2013, on estimait à 246 millions le nombre de consommateurs de substances psychoactives dans le monde, avec environ 10 % souffrant de dépendance ou de troubles liés à l’usage de ces substances. Tandis que les conséquences graves telles que le VIH/SIDA, l’hépatite C et les surdoses sont bien documentées, les maladies bucco-dentaires liées à l’usage de drogues sont souvent ignorées. Ces affections incluent les caries, les maladies parodontales, l’usure dentaire et les cancers oraux, qui varient selon la substance et le mode d’administration.
Méthodologie de l’étude
L’équipe de recherche a effectué une recherche systématique de données sur les 35 dernières années en utilisant des bases de données telles que MEDLINE, PsycInfo, OVID, Google Scholar et EMBASE. Les résultats ont été comparés avec ceux de la population générale en utilisant des mesures standardisées : le nombre moyen de dents cariées, manquantes et obturées (DMFT), la profondeur des poches parodontales et la perte dentaire non carieuse (NCTL). Au total, 28 études, incluant 4086 patients souffrant de troubles liés aux SPA et 28031 contrôles, ont été retenues pour la méta-analyse.
Résultats principaux
Les résultats montrent que les personnes souffrant de troubles liés à l’usage de substances ont des scores de DMFT et de DMFS significativement plus élevés que les non-consommateurs, indiquant une prévalence plus élevée de caries dentaires. De plus, les utilisateurs de SPA présentent plus de dents cariées, mais moins de restaurations dentaires, ce qui suggère un accès réduit aux soins dentaires. Ils sont également plus susceptibles de perdre leurs dents non pas à cause de caries, mais en raison d’une usure non carieuse ou de maladies parodontales destructrices.
Effets spécifiques des substances
Les conséquences dentaires varient selon le type de substance consommée :
- Cannabis : Associé à une xérostomie importante, une augmentation des caries et un risque accru de cancers buccaux.
- Amphétamines : Engendrent une usure dentaire rapide due au bruxisme, des caries avancées et une xérostomie sévère.
- Opioïdes : Les utilisateurs présentent des caries, des maladies parodontales et une mauvaise hygiène bucco-dentaire, exacerbées par la pauvreté et une forte consommation d’aliments sucrés.
- Cocaïne : Peut provoquer des défauts oro-nasaux, des maladies parodontales et une usure dentaire accrue en raison du bruxisme.
Implications pour la pratique médicale et dentaire
Pour les professionnels non dentaires, il est crucial de dépister les maladies bucco-dentaires chez les patients souffrant de troubles liés aux SPA et de les orienter vers des soins dentaires adaptés. Les médecins doivent également privilégier les préparations sans sucre lorsqu’ils prescrivent de la méthadone et informer les patients des effets de cette substance sur les dents.
Pour les chirurgiens-dentistes, il est nécessaire d’interroger systématiquement les patients sur leur consommation de substances psychoactives, au même titre que le tabagisme et la consommation d’alcool. Les dentistes doivent être attentifs aux signes cliniques de pathologies dentaires avancées et adapter leur approche, notamment en prenant en compte les comportements de recherche d’opioïdes.
Conclusion
Les personnes souffrant de troubles liés à l’abus de substances présentent des taux élevés de caries dentaires et de maladies parodontales, mais reçoivent rarement les soins dentaires nécessaires. Les praticiens, qu’ils soient dentaires ou non, doivent être formés à la détection des problèmes bucco-dentaires dans cette population et à leur orientation vers des soins appropriés. Il est urgent de sensibiliser et de former les professionnels de santé pour répondre aux besoins spécifiques de ces patients souvent marginalisés.